Pour ceux qui l'auraient oublié, au printemps 2011, la Richelieu débordait, inondant 18 municipalités au Québec, touchant environ 3 000 foyers et 6 000 hectares de terres agricoles. Les causes généralement acceptées sont une accumulation de neige tardive dans le bassin versant de la Richelieu et des pluies abondantes, entres autres causes météorologiques aggravantes. Une page assez complète a été rédigée sur Wikipédia avec un nombre très acceptables de liens externes en notes et références. Pour plus de détails sur les inondations elles-mêmes, je vous invite à vous y référer.
Je pense qu'il est aussi nécessaire de rappeler que les 3 000 sinistrés ont reçu 50 M$ en dédommagement suite aux inondations, couvrant grosso modo 80% des dommages encourus par les résidents. Pour plus de détails sur les détails des dédommagements et du recours, Marc Verreau, journaliste chez Radio-Canada, a produit ce très intéressant reportage.
Le propos du billet d'aujourd'hui ne concernent pas les impacts très importants et tout-à-fait réels sur les citoyens que les inondations ont eues et mon intention n'est pas de minimiser ceux-ci. Je m'attarderai plutôt sur le recours collectif déposé mardi qui passe complètement à côté du problème et s'attaque à la mauvaise cible. En fait, je devrais plutôt dire aux mauvaises cibles.
Premièrement, soulignons que la demande en recours collectif jette la responsabilité sur les gouvernement fédéral et provincial parce qu'un dragage prévu en 1940 n'a jamais été réalisé. Or, même si le dragage avait été réalisé, il n'aurait rien changé aux inondations car le niveau de l'eau est contrôlé par un barrage. Autrement dit, si le dragage avait été réalisé, l'eau aurait rempli le fond du chenal ainsi creusé et serait montée jusqu'au niveau prescrit par le barrage.
Donc, si le niveau de l'eau est artificiellement maintenu à 31 m au dessus du niveau de la mer, que le fond de la rivière soit à 30 m, à 25 m ou à 20 m... Le niveau de l'eau reste artificiellement maintenu à 31 m. Il y aura simplement une plus grande colonne d'eau dans la rivière.
Bien sur, je simplifie grandement la question, mais le problème réside de toute façon ailleurs. Je ne suis pas au fait des particularités de la situation de la Richelieu, je parle ici en termes généraux. Un ancien responsable chez Hydro-Québec au niveau de la planification des grands ouvrage a toutefois eu ceci à dire sur le sujet. Il avance d'ailleurs qu'un dragage de la Richelieu aurait mené à des inondations de plus grande envergure. Il discute aussi des responsabilités, comme je le fais dans les prochaines lignes, et de solutions possibles.
À mon sens, la responsabilité principale réside plutôt au niveau des gouvernements municipal et provincial, et de certains résidents ou constructeurs (mais pas la majorité). Plus spécifiquement, il existe de graves lacunes au niveau de l'attribution des permis de construction, du zonage riverain et de la manière dont les municipalité sont financées.
Les villes se financent principalement par les taxes foncières sur les propriétés de leur territoire. Ainsi, elles ont un fort incitatif à permettre la construction des propriétés montrant une valeur foncière élevée. On le sait, les propriétés sur le bord des cours d'eau sont celles qui montrent les valeurs parmi les plus élevées et elles rapportent beaucoup d'argent aux municipalités riveraines.
Parallèlement, tant au niveau des municipalités qu'au gouvernement provincial, on a longtemps fermé les yeux sur le remblais de milieux humides et la construction en rive. La rive correspond à la zone de 10 ou 15 m au delà de la ligne des hautes eaux (LHE). Cette dernière est la portion du territoire autour d'une rivière qui est inondée à tous les 2 ans (une approximation/interprétation large pour simplifier les besoins de la discutions).
Comme une image vaut milles mots...
À titre indicatif, les inondations de la Richelieu en 2011 ont atteint, et largement dépassé, la ligne de récurrence de 100 ans (un niveau d'eau atteint une fois par siècle).
La Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables (voir le Guide d'interprétation) a mis fin à cette pratique de construction en zone inondable. Ou du moins, tente de le faire. En effet, la Politique interdit la construction en plaine inondable (en théorie, car des exceptions sont possibles), c'est à dire qu'on ne peut plus construire de bâtiments dans la zone qui peut potentiellement être inondée une fois à tous les 100 ans. Approximativement la ligne rouge sur cette animation d'images satellites de Saint-Paul-de-l'île-aux-noix (autres images satellites ici).
Ainsi, si cette politique avait été en vigueur depuis le début du siècle dernier, les inondations de la Richelieu aurait touché un grand total de 0 citoyens... Mais tel ne fût pas le cas.
La réalité est plutôt que des propriétaires riverains, qui ont pu se construire en toute légalité à une certaine époque, se retrouvent aujourd'hui dans la plaine inondable. Cette réalité leur apporte toute une série de conséquences, la principale étant de ne plus être assurables.
Certains diront que d'être construit à un endroit où on se fait inonder à tous les ans, c'est un peu courir après le trouble. Et c'est vrai dans certains cas. Certains citoyens sont construits à un endroit où les fondations sont littéralement dans l'eau, à 1 mètre de la rivière. Je serais aussi tenté de dire à ces gens : « Tu devrais le savoir ».
Mais ce n'est pas de ces gens dont je parle ici.
(Considérer cette affirmation soulignée, en gras, avec des petites étoiles qui clignotent autour)
Contre-exemple : la récurrence d'inondation de 100 ans implique que si j'ai hérité d'une maison de mes parents, qu'ils l'ont eux aussi héritée des leurs... Il est possible qu'elle n'ait jamais été touchée par une inondation de mémoire d'homme. Soudain, d'un coup de Politique, on se retrouve en plaine inondable. Dure réalité vous dites?
Un autre facteur contribuant aux inondations importantes est l'artificialisation des berges. En effet, une berge naturelle montre une pente adaptée aux réalités hydrographiques. Ainsi, lors de crues, même exceptionnelles, la pente naturelle de la rive permet à un plus grand volume d'eau de rester dans le lit de la rivière et de ne pas se répandre sur un grand territoire.
Un autre exemple : imaginez une rivière avec des berges à 45° et une autre avec des murs à 90°, l'eau monte... Pour la berge à 45°, le lit de la rivière s'élargit et peu contenir plus d'eau. Pour celle à 90°, l'eau monte, mais reste contrainte entre les murs. Si, dans les deux cas, l'eau arrive en haut de talus, beaucoup plus d'eau restera dans le lit dont les berges à 45° avant de se répandre, alors que pour les berges à 90°, beaucoup plus d'eau débordera.
Cette image montre un mur droit sur la rive gauche, un enrochement en angle sur la rive droite et illustre les deux notions de pentes de rives susmentionnées. Elle ne constitue toutefois pas les meilleures pratiques environnementales car les enrochements sont plutôt stériles à la biodiversité et ont tendance à augmenter la température de l'eau. Ils doivent conséquemment être évités autant que possible.
Ainsi, comme vous pouvez le constater, le problème est excessivement complexe. En plus, la Politique, en rétrospective, ne peut s'appliquer également à tous les propriétaires situés en plaine inondable. Surtout dans la vallée du Saint-Laurent, un territoire géologiquement plat et qui peut montrer des zones inondables de très grandes superficie.
Les solutions sont quant à elles tout aussi complexes : Révision du cadre de financement des municipalités pour limiter la construction en rive; Application stricte des interdictions de constructions en plaine inondable; Renaturalisation adéquate des berges; Respect des degrés de liberté des rivières (non abordé dans le texte, lire ceci et ceci), etc.
Enfin, revenons à nos moutons : La demande en recours collectifs. Mon intuition, et je dis bien intuition, pas opinion-de-ce-que-le-juge-devrait-faire, est que le recours collectifs sera rejeté et ce, pour diverses raisons. Sa mauvaise cible et le fait que des dédommagements ont déjà été accordés risquent notamment d'être les principales raisons de ce rejet. Mais encore-là, je ne suis pas un juriste et il est possible que je me trompe.
L'affaire est donc à suivre.
Alexandre